Le complot

Le complot

  • Accroche : Cinq ans après le terme « conspirationniste » en 2011, les termes « complotiste » et « complotisme » font leur entrée dans le Petit Larousse en 2017, témoignant ainsi de la prégnance contemporaine du thème du complot.
  • Définitions:
    • Le terme de « complot » se définit comme projet concerté secrètement contre la sûreté ou la vie d’une personne, d’un groupe de personnes ou d’une institution ;
    • Ainsi, la théorie du complot (conspiracy theory), ou le complotisme (ou encore le conspirationnisme) se définissent comme une vision de l’histoire, perçue comme le produit de l’action d’un ou plusieurs groupes occultes agissant dans l’ombre ;
  • Le complot apparaît de deux façons dans l’histoire des sociétés :
    • Le complot apparaît comme une réalité ponctuelle, dans la mesure où les conspirations ont de facto existé dans l’histoire et en ont parfois infléchi le sens :
      • L’assassinat de Jules César en 44 av. JC est le résultat d’un complot de sénateurs romains qui se surnommaient entre eux les Liberatores et dont le chef le plus renommé fut Marcus Junius Brutus ;
      • L’assassinat de l’empereur Caligula en 41 par des membres de sa garde personnelle face aux risques de dérives autocratiques ou tyrannique qu’il représentait ;
      • L’assassinat du moine Raspoutine en 1916, instigué par le Prince Félix Loussoupov, inquiet de son aura grandissante auprès du Tsar ;
      • L’assassinat de l’archiduc d’Autriche et prince du royaume de Hongrie François Ferdinand à Sarajevo, le 28 juin 1914, orchestré par la société secrète nationaliste serbe « la main noire », dont l’objectif était de réunir au sein d’un unique État serbe l’ensemble des territoires faisant partie de l’Autriche-Hongrie (Croatie, Bosnie, sud de la Hongrie). L’assassinat de l’archiduc François Ferdinand précipite la déclaration de guerre de l’Autriche-Hongrie contre le Royaume de Serbie. Par la suite, une escalade de déclaration de guerre entre les Empires centraux, dont l’Empire allemand et les pays alliés de la Serbie, déclenche la Première Guerre mondiale ;
    • Le complot apparaît surtout comme un mythe permanent qui structure l’imaginaire des sociétés, bien au delà de sa réalité factuelle ponctuelle : ici le complot n’apparaît plus comme un fait, mais comme une prédisposition intellectuelle des individus à voir le cours de l’histoire comme le résultat de causes profondes et secrètes. Alors que les complots sont rares dans l’histoire, le champ de la théorie du complot est quant à lui très large, alliant selon des combinaisons infinies science-fiction, géopolitique, argent et sociétés secrètes.
  • La place du complot dans les sociétés contemporaines relève du paradoxe :
    • Depuis la période moderne et particulièrement depuis les lumières, nos sociétés sont fondées sur une exigence rationnelle et sur un principe de transparence, devant logiquement mener à une extinction progressive des croyances infondées au profit d’un savoir positif.
      • C’est l’application traditionnelle de la Loi des trois états développée par Auguste Comte, qui postule que le développement de la rationalité par le biais philosophique puis scientifique aboutit au passage de l’humanité d’un état théologique à un état métaphysique, pour aboutir à un état positif, chaque état rendant caduque l’état précédent ;
    • Or, loin d’une disparition des thèses complotistes, on assiste aujourd’hui à leur radicalisation et à l’expansion de leur écho.

I) Mythe constitutif à toute société, la théorie du complot trouve sa force principale dans son apparente faculté explicative de l’ordre du monde

A. Le mythe de la conspiration, inhérent à toute société humaine, s’est imposé sous la forme de la théorie du complot à partir de la Révolution française

  1. Le fantasme d’une conspiration de forces maléfiques a traversé toutes les sociétés humaines, sous des formes diverses

Si la théorie du complot n’a adopté sa structure formelle et rhétorique actuelle qu’à partir de la Révolution Française, le fantasme d’une conspiration de forces maléfiques est une permanente dans l’histoire. Elle a pris des formes très diverses au cours des siècles, qui dépendent généralement directement des types de peurs qui ont saisi les sociétés :

  • Chaque société est traversé par des grandes peurs qui la caracétrise:
    • Jean Delumeau, La peur en occident (XIII-XVIIIe siècles) :
      • Jean Delumeau met en évidence la succession et parfois la juxtaposition de plusieurs types de peurs en Occident entre le XIII et le XVIIIe siècle :
        • La peur eschatologique de la fin du monde
        • La peur alimentaire (famine)
        • La peur endémique, c-a-d la peur des pandémies
        • La peur du diable
      • Surtout, Delumeau avance que chacune de ses grandes peurs a suscité en réaction la formulation de mythes conspirationnistes accusant directement certains responsables, aboutissant à des accusations et généralement à des sacrifices expiatoires permettant de juguler les peurs. Ainsi, la peur du diable qui a saisi l’occident au moment du moyen âge a amené à la désignation de plusieurs responsables, donc d’ « agents de Satan » (sic) devant faire l’objet d’une répression :
        • Le juif
        • La femme, à travers notamment la figure de la sorcière : les « sorcières » étaient accusées de former une vaste secte satanique et de pratiquer des rites sexuels clandestins et des meurtres d’enfants.

 

  1. L’éternel mythe d’une conspiration maléfique s’est imposé sous la forme de la théorie du complot à partir de la Révolution Française

 Les historiens s’accordent pour considérer que la théorie du complot telle qu’elle existe aujourd’hui se structure au moment de la Révolution Française :

  • La première théorie du complot moderne recensée est celle formulée par l’abbé Barruel dans ses Mémoires pour servir à l’histoire du jacobinisme, publiées en 1798 : Barruel conçoit la Révolution Française non pas comme le fruit d’un mouvement populaire spontané, mais comme le fruit d’une conspiration anti-chrétienne fomentée par les « arrières-loges » maçonniques et par les illuminés de Bavière, représentant chacun les intérêts du peuple juif.
    • Raoul Girardet, Mythes et mythologies politiques : voit dans ce texte un prototype qui contient l’ensemble des mécanismes rhétoriques qui structurent encore aujourd’hui toutes les théories du complot, à savoir l’existence d’une société secrète, caractérisée par des cérémonies initiatiques et une forte hiérarchie interne, ayant pour but la domination du monde, par le biais de tout moyen possible.
  • La période révolutionnaire est saisie par le mythe du complot, qui fait alors l’objet de tous les usages, même des plus contradictoires. Ainsi la théorie du complot est mobilisée:
    • Par les contre-révolutionnaires qui mettent en avant l’existence :
      • D’un complot judéo-maçonnique ;
      • D’un complot jésuite, auquel fait référence le roman d’Umberto Eco, Le Cimetière de Prague ;
    • Mais aussi par les révolutionnaires eux-mêmes, qui mettent en avant un « complot de l’étranger » au moment de la Terreur en 1793 : complot supposément ourdi par les princes refugiés auprès des couronnes européennes pour envahir la jeune République.

Depuis la période révolutionnaire, la théorie du complot a trouvé d’innombrables déclinaisons, dont certaines étaient vouées à une grande postérité :

  • Les Protocole des sages de Sion est un faux rédigé à Paris en 1901 par un informateur de la police secrète de l’Empire russe, et destiné à convaincre le Tsar Nicolas II de cesser sa politique d’ouverture à l’égard des juifs de l’empire, réputés majoritairement favorables un changement libéral de régime. Le Protocole se présente comme un compte-rendu de réunions secrètes exposant un plan de domination du monde judéo-maçonnique qui utiliserait violences, ruses, guerres, révolutions et s’appuierait sur la modernisation industrielle et le capitalisme pour installer un pouvoir juif mondial. Le texte a connu un écho mondial à partir de 1920, et sa qualité de faux n’a été définitivement prouvée qu’à la fin du XXe siècle.

B. La prégnance des théories du complot s’explique notamment par son apparente faculté explicative du monde

  1. La croyance dans l’existence de complots trouve de multiples explications

Le succès des théories du complot dans la structuration des imaginaires collectifs s’explique par de multiples facteurs, scientifiques et psychologique:

  • Un facteur neurologique: les dernières avancées de la neuroscience, consignée sdans un numéro de Sciences et Vie d’août 2016 (Vous avez dit complot ? Nos cerveaux programmés pour y croire), tendent à prouver que la perception de complots par les individus ne découle pas d’une pathologie ou d’une dysfonction, mais au contraire d’un biais cognitif naturel du cerveau humain, qui fonctionne en associant des éléments apparemment déconnectés pour donner sens à un environnement. Ainsi la structuration même du cortex humain est prédisposée à développer et à accueillir les théories du complot, qui fonctionnent par association d’éléments indépendants en un tout cohérent et explicatif.
  • Des facteurs psychologiques au niveau individuel :
    • L’expression publique d’un soupçon, voire d’une certitude de complot créé chez l’individu une forme de satisfaction dérivée du sentiment de détenir un savoir dissimulé aux autres ;
    • Les théories du complot satisfont un goût pour l’ésotérisme, et comportent une fonction enchanteresse du monde, appuyée sur tout un arsenal symbolique propre aux théories du complot, fait de cryptes, de tombeaux, de cimetières etc.
      • Goerg Simmel, Secret et sociétés secrètes : avance que le caractère « secret » de certaines sociétés s’explique souvent non pas tant par la nécessité de dissimuler des méfaits, mais par la volonté de ses membres de se prévaloir du prestige associé à l’appartenance d’une « société secrète ».
    • Des facteurs politiques ou sociaux au niveau collectif, puisque la théorie du complot peut renforcer la cohésion d’une société en mobilisant les énergies contre une victime ou un groupe de victimes sacrificielles faisant office de bouc-émissaires au sens où l’entend René Girard:
      • René Girard, Le bouc-émissaire, 1982 : Le phénomène du bouc émissaire, collectif, est la réponse inconsciente d’une communauté à la violence endémique que ses propres membres ont générée au travers des rivalités mimétiques. Le sacrifice du bouc émissaire a pour fonction d’exclure la violence interne à la société vers l’extérieur de cette société, à savoir vers une victime émissaire dont le sacrifice a une fonction cathartique.
  1. La principale force des théories du complot demeure leur apparente faculté explicative de l’ordre du monde

L’attrait des théories du complot trouve cependant sa force principale par l’ « apport » cognitif qu’elles paraissent contenir :

  • Pierre André Taguieff, L’imaginaire du complot mondial : la force principale de l’ « offre » conspirationniste est qu’elle répond à une « demande » de sens, et donc au désarroi des individus devant la complexité du monde, voire devant la part d’absurde et d’inexplicable qui mène parfois les affaires humaines. Les scénarios complotistes donnent du sens aux évènements historiques en fournissant des explications simplifiantes ou fausses. Le complot est donc avant tout un récit explicatif permettant à ceux qui y croient de donner un sens à tout ce qui arrive, et en particulier à l’imprévu voire à l’absurde. Taguieff remarque que les théories complotistes n’intègrent pas la notion d’ « effet pervers » au sens sociologique du terme, dans la mesure où elles rapportent tout à des causalités explicatives premières et intentionnelles.

 

II) Aujourd’hui, alors que l’expansion et la radicalisation des théories du complot portent préjudice à la cohésion sociale et à la stabilité politique, il revient aux pouvoirs publics d’en limiter l’attrait

A. Les théories du complot trouvent aujourd’hui un écho élargi, qui peut s’avérer particulièrement préjudiciable à la cohésion sociale et à la stabilité politique

  1. Les théories du complot se radicalisent devant la complexification et le désenchantement du monde et se répandent avec le développement d’internet

On observe aujourd’hui une radicalisation et une expansion incontestables des théories du complot dans la société, qui peuvent s’expliquer de plusieurs façons :

  • La complexification du monde, notamment par le processus de globalisation, avive le désarroi des individus devant une forme d’impuissance à saisir l’ensemble des variables explicatives, et renforcent en réaction la demande de sens auxquelles les théories du complot prétendent répondre ;
  • Le processus de « désenchantement du monde » – défini par Max Weber dans L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme comme le passage, sous l’effet des progrès de la raison et de la science, d’une vision du monde comme un « jardin enchanté », peuplé de sortilèges et de rituels, à une « cage d’acier » – se traduit chez les individus par une nostalgie de l’absolu, et donc par un regain d’intérêt pour l’ésotérisme.
    • George Steiner, La nostalgie de l’absolu : le déclin des religions institutionnalisées qui ont structuré l’imaginaire occidental a laissé dans l’existence morale et intellectuelle de l’homme occidental un vide, qui tend à être comblé par la formulation de « mythologies », même les plus irrationnelles. Steiner explique ainsi la montée de l’« irrationalisme » dont il constate le développement depuis la fin du moyen âge. Les succès de l’astrologie, ou de l’ufologie qui se consacre à la recherche de traces d’ovnis avec le plus grand sérieux s’expliqueraient ainsi par la fonction réenchanteresse, de même que l’attrait nouveau et sans précédent en occident pour les sagesses orientales. Les théories du complot s’inscriraient dans cette recherche d’enchantement, notamment pour celles qui font intervenir la science-fiction.
  • Plus conjoncturellement, la crise économique et sociale actuelle renforce les théories du complot qui jouent un rôle exutoire des frustrations personnelles et des difficultés collectives par le biais de la désignation de responsables émissaires.

Surtout, l’écho des théories complotistes est démultiplié par le développement d’un média d’un genre nouveau, internet, qui contrairement aux médias traditionnels a pour caractéristique l’absence totale de contrôle sur son contenu :

  • Gerald Bronner, La démocratie des crédules: le développement des thèses conspirationnistes est largement déterminé par le « marché cognitif », c-a-d par les modes de diffusion de l’information et des croyances collectives.
    • Ainsi les premières grandes peurs collectives, telles que la peur du diable, ont été diffusées dans de larges espaces géographiques et à travers les siècles par le biais de l’imprimerie par Gutenberg en 1455.
    • Bronner perçoit avec l’invention et le développement d’internet une rupture majeure dans le marché cognitif, puisqu’internet est caractérisé par une dérégulation complète du marché de l’information : toute personne peut à tout moment être diffuseur ou récepteur de contenu de type complotiste.
  1. En découlent un risque réel pour la cohésion sociale, la stabilité politique et dans une acception extrême pour l’intégrité de certaines communautés régulièrement visées

Le développement actuel des thèses conspirationnistes pose aujourd’hui un risque réel de trouble à l’ordre public, notamment pour l’intégrité de certaines communautés régulièrement visées :

  • Historiquement, les théories du complot visent régulièrement certaines communautés:
    • La publication par Edouard Drumont de son pamphlet La France juive en 1886 – qui accuse la communauté juive d’avoir pris le contrôle des élites financières et politique, et d’être notamment à l’origine du crack de l’Union Générale de 1882 par le truchement de la banque Rothschild – a fortement contribué à l’expansion de l’antisémitisme en France ;
    • Au début du XXe siècle, Charles Maurras développe dans sa revue (devenue journal) L’Action Française la théorie des quatre états confédérés, selon laquelle la Révolution française avait contribué à instaurer le règne de l’étranger et de l’« Anti-France », qu’il définissait comme « les quatre États confédérés des Protestants, Juifs, Francs-maçons, et métèques ». En effet, pour lui, Protestants, Juifs et Francs-maçons étaient comme des « étrangers internes » dont les intérêts en tant que communautés influentes ne coïncidaient pas avec ceux de la France.
    • Dans les années 1930, le thème du complot juif a trouvé une actualité nouvelle avec la crise financière de 1929, et a largement ouvert la voie à l’extermination de 5 à 6 millions de juifs par l’Allemagne nazie pendant la seconde guerre mondiale.
      • Dans Mein Kampf, Adolf Hitler prend le faux Protocole des sages de Sion comme argument justifiant à ses yeux la théorie du complot juif et en fait ensuite l’une des pièces maîtresses de la propagande du Troisième Reich ;
  • Aujourd’hui, les théories du complot servent à nouveau largement les discours antisémites et xénophobes :
    • Au niveau international, les thèses complotistes sont omniprésentes dans la communication virale de l’Etat islamique sur internet ;
    • Au niveau national, le développement des théories du complot est lié à la montée en puissance de l’antisémitisme et d’une forme de cession civique, observé notamment à l’école depuis plusieurs années :
      • Emmanuel Brenner, Les territoires perdus de la République : rassemble le témoignage d’enseignants et de chefs d’établissements scolaires dans les collèges et les lycées réputés difficiles, qui alarment sur la montée en puissance des théories du complots à l’école, encouragé par les pairs, et contre lesquels les enseignants luttent difficilement tant leur parole est discréditée. Plus largement, la prégnance des thèses complotistes dans ces milieux scolaires défavorisés encourage, selon les enseignants, à une forme de cession civique de plus en plus radicale de la part des enfants issus de l’immigration notamment.

 

B. Il revient aux pouvoirs publics d’imposer un subtil équilibre entre la préservation d’un légitime droit au doute et à la réfutation, et l’indispensable encadrement des théories complotistes les plus nocives

  1. Le droit au doute, fondement même de l’approche rationnelle et scientifique moderne, doit être non seulement préservé mais encouragé par les pouvoirs publics

La lutte contre le complotisme ne peut justifier de remettre en cause le droit au doute et même à la réfutation, qui constitue la base de la méthode rationnelle moderne :

  • Karl Popper, Conjecture et réfutations : Popper conçoit la « réfutabilité » comme le critère même de la « scientificité », telle qu’elle apparaît pendant les périodes humaniste puis des lumières. Ainsi, la méthode rationnelle et scientifique moderne consiste non pas à fournir des confirmations de ce que l’on recherche (puisque même les théories les plus absurdes peuvent toujours trouver des formes de confirmation), mais à rechercher le plus sérieusement possible à réfuter une théorie dont on souhaite tester la résistance à la critique. Seule pourra être considérée comme « scientifique » une théorie qui résiste aux tentatives d’invalidation qui lui sont opposées.
    • Ainsi le processus scientifique et rationnel qui apparaît à la modernité et qui est notamment illustré par le doute radical employé par Descartes dans son Discours de la méthode se nourrit de toutes les tentatives de réfutations qui pourront être opposées aux théories communément admises ;
    • Les théories scientifiques les plus sérieuses (la théorie de la relativité d’Einstein par exemple) sont d’ailleurs globalement considérées comme des « mensonges en sursis », c’est-à-dire comme des cadres cognitifs opérationnels aujourd’hui, mais voués à être invalidés et remplacés par des théories plus complexes et plus « réelles » dans un processus de progression continue de la connaissance ;

Dans cette perspective, l’interdiction radicale et la répression de toutes les théories réputées complotistes reviendrait à contredire les fondements même de la méthode rationnelle moderne. Au contraire, le doute et la réfutation gagneraient à être encouragés, sur le plan scientifique mais aussi sur le plan historique. Ici se pose la question des lois mémorielles, qui prétendent arrêter de façon définitive la connaissance historique d’un fait du passé :

  • En 2005, l’historien Pétré Grenouilleau, qui a affirmé que la traite négrière ne pouvait être comparée à un génocide, s’est trouvé mis en justice au nom de la Loi Taubira du 21 mai 2001 tendant à la reconnaissance de la traite et de l’esclavage en tant que crime contre l’humanité. Cette affaire a motivé la mise en place d’une pétition nommée Liberté pour l’histoire parue dans Libération en 2005, qui s’oppose aux lois mémorielles dans leur ensemble au nom de la méthode scientifique moderne reposant sur le doute et la réfutation :« L’histoire n’est pas une religion. L’historien n’accepte aucun dogme, ne respecte aucun interdit, ne connaît pas de tabous. Il peut être dérangeant. »
    • La pétition est lancée par 19 historiens de renoms, dont Pierre Vidal-Naquet, Pierre Norra et Mona Ozouf;
  • Dans les suites de l’affaire Pétré-Grenouilleau, le rapport Accoyer de 2008 sur les lois mémorielles préconise :
    • De ne pas remettre en cause les lois mémorielles existantes, mais ne pas en édicter d’autres
    • De créer un environnement favorable à la recherche historique

 

  1. En contrepartie, une exigence rationnelle peut être légitimement exigée des citoyens, et une répression renforcée des théories complotistes les plus nocives peut être envisagée

 Si la lutte contre les théories complotistes ne peut donc justifier de revenir sur les fondamentaux de la méthode rationnelle occidentale, elle passe nécessairement par l’encadrement et la répression des thèses complotistes les plus novices à la cohésion sociale et les plus dangereuses pour l’intégrité des communautés visées :

  • Ainsi, des limites doivent être tracées à la liberté d’expression, dont le franchissement justifie une répression pénale. Plusieurs incriminations pénales tendent à tracer ces limites :
    • Injure et diffamation
    • Incitation à la haine raciale
    • Le délit de négationnisme, c-a-d de contestation de l’existence des crimes contre l’humanité, tels que définis dans le statut du Tribunal militaire international de Nuremberg, institué par la Loi Gayssot du 13 juillet 1990

Conclusion : Fondamentalement, il convient de démystifier le complot, pour en admettre l’existence ponctuelle, mais aussi pour souligner l’absurdité de la majorité des théories complotistes. La force et la faiblesse du mythe complotiste demeure sa vacuité :

  • Dans son roman Le pendule de Foucault (1988), Umberto Eco moque l’ésotérisme, les sociétés secrètes et leurs prétendus mystères. A la fin du roman, on découvre que le secret ne protégeait que le vide. Derrière le mystère ésotérique, il n’y a rien.

Pour aller plus loin: 

  • Ici une analyse (podcast France Culture: Les chemins de la philosophie) de la thèse de Karl Popper sur le complot dans son livre La société ouverte et ses ennemis : on rappelle que Popper est probablement le philosophe que a avancé les arguements les plus puissants contre le complotisme :
    • Popper ne nie pas qu’il y ait eu des complots dans l’histoire ;
    • Mais :
      • Il est très difficile de mener à bien un complot, et la grande majorité des tentatives complotistes ont échoué dans l’histoire. Les complots qui réussissent sont donc particulièrement rares.
      • Il est très difficile de démontrer sérieusement l’existence d’un complot :
        • Il faudrait réussir à démontrer qu’un fait ou un acte est le fruit d’une véritablement intention complotiste et non le fruit du hasard ;
        • Il faudrait démontrer comment un groupe a pu conserver le secret de son ambition complotiste, ce qui est particulièrement difficile à l’ère de la transparence;
        • Il faudrait démontrer comment les acteurs ont réussi à éviter le décryptage de leur volonté complotiste par d’autres acteurs qui ont intéret à voir clair dans les intentions des autres;
  • Ici une analyse assez complète des enjeux de la théorie du complot et de son lien avec la paranoïa dans la revue Scienceshumaines

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