La justice des hommes

(Par Fanny Grave & Gonzague You)

  • Accroche : « Notre office aujourd’hui, ce sera de rendre la justice des hommes ». C’est en ces termes que s’est exprimé le président de la section du contentieux du Conseil d’État dans sa décision du 29 mars 2019 validant l’arrêt des soins de Monsieur Vincent Lambert, tétraplégique et dans un état végétatif depuis dix ans. Cette formule témoigne de l’humble fragilité d’une justice rendue par des hommes, lorsque les décisions engagent la vie et la mort d’autrui. 
  • Définitions : 
    • La justice est une notion plurivoque, dont il convient d’apprécier les deux aspects essentiels :
      • La justice est une valeur morale, un concept philosophique : elle implique la proportion et l’équilibre, d’où l’image de la balance. La formule médiévale la définissait comme « l’art du bon et de l’égal » ;
      • La justice fait aussi référence à l’activité de juger : 
        • Son étymologie vient de la racine latine « jus » signifiant « le droit »
        • En ce sens, elle est une institution caractérisée par un ensemble de règles, de statuts et de pratiques : divers organes auxquels la souveraineté nationale à délégué le droit d’interpréter le droit et de l’appliquer. 
    • La notion de « justice des hommes » se pense par opposition à la justice de Dieu, à laquelle elle a succédé. En effet, alors que la justice était classiquement rendue au nom de Dieu, puis du Roi lui-même « lieutenant de Dieu sur terre » on a observé avec la Révolution à l’apparition d’une justice publique, sécularisée, rendue « au nom du peuple français »
  • La « justice des hommes » est donc un concept relativement nouveau qui s’est progressivement déployé dans la période moderne (à partir du XVIIIe siècle), avant laquelle il n’y avait de justice que celle de Dieu : 
    • Dans l’antiquité, l’origine supposée divine des décisions de Justice était conçue comme la garantie de leur légitimité et de leur justesse : 
      • Dans l’Antiquité, les grecs représentaient Thémis, incarnation divine de la Justice, les yeux bandés par un bandeau opaque. Elle symbolise la l’ensemble des garanties fondamentales de bonne justice : l’absence de compromission et de corruption par des apparences.
      • Les récits mythiques sont parcourus de punitions exemplaires infligées par les dieux, visant à sanctionner une action prohibée. Parmi les sanctions les plus fameuses de l’Iliade et l’Odysséed’Homère figurent : 
        • Le mythe de Prométhée, qui pour avoir rendu l’artifice divin aux hommes se voit punit par Zeus à être attaché à un rocher sur le mont Caucase, son foie se faisant dévorer par l’Aigle du Caucase chaque jour, et renaissant la nuit ; 
        • Le mythe de Sisyphe, qui pour avoir trompé la mort et défié les dieux, est condamné à faire rouler éternellement jusqu’en haut d’une colline un rocher qui en redescendait chaque fois avant de parvenir au sommet
    • Cette tradition est reprise dans l’ère chrétienne 
      • Saint Paul, Épître aux Romains « Que toute personne soit soumise aux autorités supérieures, car il n’y a point d’autorité qui ne vienne de Dieu, et les autorités qui existent ont été instituées de Dieu »
    • A l’époque classique, à partir du XIIIe siècle, la justice est progressivement monopolisée par les juridictions royales, mais celle-ci est encore adossée à la légitimité divine, puisque le Roi est « lieutenant de Dieu sur terre » : 
      • La justice royale s’affirme progressivement face à la justice féodale, notamment sous le règne de Saint-Louis : 
        • Un ministère public se met progressivement en place en la personne des procureurs du roi
        • Le roi nomme les magistrats et c’est de lui qu’émane le droit : il est « fontaine de justice »
        • Le tableau de RougetSaint Louis rendant la justice sous le chêne de Vincennes, illustre ce mouvement. 
  • L’appropriation progressive de la notion de justice par les hommes constitue incontestablement un progrès : 
    • Fidèle à l’esprit des Lumières dont elle découle, elle vise à mettre fin à l’arbitraire et à l’irrationalité obscurantiste de la justice divine d’antan, largement critiquée par les plus grands penseurs des lumières :
      • VoltaireCandide : l’auteur critique ouvertement l’Inquisition, tribunal ecclésiastique fondé au Moyen-âge, à travers le chapitre 6 dont le nom est évocateur de son contenu :  Comment on fit un bel auto-da-fé pour empêcher les tremblements de terre, et comment Candide fut fessé.
    • À l’inverse de l’arbitraire classique, la sécularisation de la Justice moderne contribue : 
      • À la démocratie, dont la souveraineté populaire est le pilier
      • À l’État de droit dont l’autorité judiciaire est une garantie. De même, les juridictions administratives comme le Conseil d’État et le Conseil Constitutionnel participent au contrôle du pouvoir l’exécutif. 
      • À la liberté, comme le rappelle l’article 66 de la Constitution qui l’érige en « gardienne de la liberté individuelle »
      • Plus fondamentalement, la sécularisation de l’institution judiciaire contribue à la notion de « bonne justice » dans la mesure où celle-ci repose non plus sur l’arbitraire, mais sur un ensemble de règles de droit préétablies que « nul n’est censé ignoré ».  
  • Cependant, l’ambitieux projet d’une « justice des hommes » souffre aussi de fragilités et d’écueils potentiels : 
    • Dans la mesure où elle n’est plus assise sur la légitimité divine, une justice rendue par des hommes pour des hommes peut souffrir d’un déficit de légitimité, qui expose ses décisions aux critiques, voire à la désobéissance. 
      • En témoigne la crise d’autorité à laquelle l’institution judiciaire doit aujourd’hui faire face. 
    • De plus, si elle parvient à exclure l’arbitraire divin, la justice moderne n’échappe pas nécessairement à la partialité des hommes qui la rendent ; 
  • Problématique : La justice des hommes peut-elle être bonne ? 

Si la justice des hommes demeure conforme à son idéal, elle n’est pas exempte de tensions et d’ambiguïtés (I). Face à ces critiques, la justice des hommes est aujourd’hui appelée à se reformer tout en défendant les principes qui font son humanité (II).

I) Conforme à son idéal, la justice des hommes n’en est pas moins exempte de tensions

A. La justice des hommes répond aux objectifs que lui ont assigné les lumières

  1. La justice des hommes pacifie la société 

Outre qu’elle s’est substituée à l’arbitraire de la justice divine, l’institution judiciaire moderne s’est érigée en garantie de la stabilité sociale. Ainsi la justice des hommes contribue aujourd’hui à la « philia » (l’amitié) entre les hommes :  

  • L’autorité judiciaire a assuré le passage du modèle de la « vengeance privée » à celui de la « justice publique » :
    • Anciennement, dans le système de la vengeance privée, il revenait à la victime et le groupe auquel elle appartient de juger de l’existence d’une offense et de décider de la peine à infliger à l’auteur des faits, sans contrôle étatique ; 
    • Par la suite, dans le Système de la justice privée, l’autorité judiciaire avait pour seul rôle de contrôler la proportion entre le mal reçu par la victime et la sanction qu’elle inflige au délinquant
    • Enfin, dans le système actuel de « justice publique », l’Etat se substitue aux volontés particulières et s’octroie le monopole du droit du punir qu’il exerce au nom de la société toute entière. 
  • La justice des hommes interrompt le cycle de la violence et permet de pacifier la société : 
    • René GirardLa violence et le sacré, 1972 : 
      • Pour Girard, la violence est dans l’homme et non dans la société, car le désir humain est mimétique : on ne désir que ce que les autres désirent aussi. L’envie renait donc toujours et donc avec elle la tentation de la violence. Or cette violence est contagieuse : elle appelle la rétorsion, avec le risque que la société s’abime et se délite dans un mouvement de violence de rétorsions ;
      • Il faut dès lors évacuer la violence de deux façons :
        • Par le sacrifice dans les sociétés primitives, qui polarisent leur violence sur une victime, permettant de se libérer de la violence et de s’unifier (René GirardLe bouc émissaire1982)
        • Dans les sociétés contemporaines, c’est la sanction judiciaire qui permet de rompre le cycle de la violence, qui n’appelle pas à la rétorsion dans la mesure ou le jugement est impersonnel et fondé sur des règles invariables. 

2. La justice des hommes assure la démocratie et l’Etat de droit

En démocratie, l’autorité judiciaire (dont on note qu’elle n’est pas un «pouvoir » mais bien une « autorité ») est nécessairement séparé de l’exécutif et du législatif, vis-à-vis desquels il assure un indispensable contrôle :

  • Montesquieu ,De l’esprit des lois :
    • Montesquieu théorise la séparation des pouvoirs, qu’il justifie par un raisonnement en plusieurs étapes : 
      • C’est une expérience éternelle que tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser
      • Dès lors, il faut que « par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir »
    • Montesquieu met également en place les principes qui assureront l’indépendance et l’impartialité de cette autorité. Pour préserver la justice des hommes de toute tentation d’arbitraire, il fixe la fonction du juge dans un rôle passif d’application stricte de la loi : « Les juges de la nation ne sont que la bouche qui prononce les paroles de la loi, des êtres inanimés, qui n’en peuvent modérer ni la force ni la rigueur. »
  • Aujourd’hui, les principes d’indépendance et d’impartialité de la justice sont érigés au plus haut niveau normatif :
    • Article 64 Constitution : « Le Président de la République est garant de l’indépendance de l’autorité judiciaire »

Ainsi la justice des hommes assure les fonctions de pacification et de démocratisation de la société que lui ont assigné les lumières. De sorte que la justice des hommes est aujourd’hui synonyme de bonne justice : 

  • Paul Éluard, Bonne justice : Dans le poème d’Éluard, Dieu n’est pas mentionné : seule demeure la « Justice » sans article mais qu’une majuscule transforme en figure tutélaire. Les hommes sont les uniques artisans de cette évolution qui aboutit à la perfection passant par une amélioration des lois régissant les États pour le bien de leurs citoyens, le bien général et le contrôle de l’action du gouvernement.

B. La justice des hommes souffre cependant de nombreux écueils potentiels

  1. La justice des hommes n’échappe pas au spectre de l’arbitraire 

L’autorité judicaire moderne n’est pas exempte de critiques concernant l’arbitraire et à la partialité de ses décisions :

  • La justice des hommes a longtemps fait l’objet de suspicions de corruption : 
    • Racine, Les plaideurs, 1668 : narre l’histoire du juge Dandin qui a la passion de juger, mais dont la passion est intéressée : « On avait beau heurter et m’ôter son chapeau, on entrait point chez nous sans graisser le marteau ».
    • Cette suspicion est aujourd’hui levée par la gratuité de la justice est consacrée par la réforme des 16 et 24 aout 1790 et par la constitution de 1791
  • L’autorité judiciaire demeure souvent perçue comme un « instrument des puissants », dont le but serait, dans une logique marxiste, de pérenniser les inégalités de classe :  
    • Jean de la FontaineLes animaux malades de la peste : « Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir »
    • Pascal, Pensées « ne pouvant faire que le juste fut fort, on a fait que le fort fut juste »
    • Stendhal, Le rouge et le noir : Julien Sorel est accusé de tentative d’homicide sur son ex-maitresse madame de Rénal, et met en accusation ses juges :
      • «  Mon crime est atroce, et il fut prémédité. J’ai donc mérité la mort, Messieurs les jurés. Mais quand je serais moins coupable, je vois des hommes qui, sans s’arrêter à ce que ma jeunesse peut mériter de pitié, voudront punir en moi et décourager à jamais cette classe de jeunes gens qui, nés dans une classe inférieure et en quelque sorte opprimés par la pauvreté, ont le bonheur de se procurer une bonne éducation, et l’audace de se mêler à ce que l’orgueil des gens riches appelle la société. Voilà mon crime, Messieurs, et il sera puni avec d’autant plus de sévérité que, dans le fait, je ne suis point jugé par mes pairs. Je ne vois point sur les bancs des jurés quelques paysans enrichis mais uniquement des bourgeois indignés… » 
    • Aujourd’hui encore, de nombreux de justiciables estiment que les procédures sont inégalement punitives suivant le type d’infraction : l’immunité relative dont semblent jouir les auteurs de délits financiers est emblématique de cette pensée d’inégalité engendrée par les processus législatifs et répressifs. Pour quelques justiciables, la justice à deux vitesses. 
  • Les décisions de justice n’échappent pas non plus à l’arbitraire personnels des juges, qui appliquent parfois un « ordre moral » en lieu et place des règles de droits prédéfinies (s’opposant ainsi au vœux de Montesquieu de juges « bouches de la loi ») : 
    • Camusl’Étranger : le héros Meursault est condamné à mort par le tribunal populaire, en qualité d’assassin d’un arabe. Cependant, la démonstration du procureur, qui mènera à la peine de mort, ne porte pas sur les faits qui lui sont reprochés, mais sur le comportement du héros lors de l’enterrement de sa propre mère : 
      • Veillant la morte toute la nuit, il assiste le lendemain à la mise en bière et aux funérailles, sans avoir l’attitude à attendre d’un fils endeuillé ; le héros ne pleure pas, il ne veut pas simuler un chagrin qu’il ne ressent pas. Le lendemain de l’enterrement, Meursault décide d’aller nager à l’établissement de bains, et y rencontre Marie, une dactylo qui avait travaillé dans la même entreprise que lui. Le soir, ils sortent voir un film de Fernandel au cinéma et passent le restant de la nuit ensemble.
      • Meursault est arrêté et questionné. Il ne manifeste aucun regret. Lors du procès, on l’interroge davantage sur son comportement lors de l’enterrement de sa mère que sur le meurtre. Meursault se sent exclu du procès. Il dit avoir commis son acte à cause du soleil, ce qui déclenche l’hilarité de l’audience. La sentence tombe : il est condamné à la guillotine. Meursault voit l’aumônier, mais quand celui-ci lui dit qu’il priera pour lui, il déclenche sa colère.

La justice n’est pas non plus exempte de critiques concernant sa dépendance vis-à-vis du pouvoir exécutif : 

  • Les juges ont tendance à épouser les vues des pouvoirs en place : 
    • Sous le second Empire, le juge Pinard requiert en 1857 trois procès pour pornographie (Les fleurs du mal, Madame Bovary, et Les mystères de Paris) : Baudelaire est condamné à payer une amende, alors que le juge Pinard sera ensuite promu ministre de l’intérieur ; 
  • Aujourd’hui encore, la notion d’indépendance de la justice peut être en doute du fait des statuts de certains magistrats qui les place de faits sous l’emprise potentielle du pouvoir exécutifs :
    • C’est le cas des magistrats administratifs du Conseil d’État, qui – bien qu’ayant une indépendance statutaire – proviennent des mêmes écoles et lient des liens intimes avec les fonctionnaires du pouvoirs exécutifs, de sorte que leur indépendance est aujourd’hui suspecte pour certains. D’autant que selon l’adage d’Henrion de Pansey : « juger l’administration c’est encore administrer »
    • C’est le cas des magistrats du parquet dont l’indépendance vis-à-vis du ministre de la justice n’est pas statutairement garantie :
      • Sur ce point, la loi du 25 juillet 2013 comporte des avancées en modifiant l’article 30 du Code de Procédure Pénal pour mettre fin aux instructions individuelles pouvant être adressé par le Garde des Sceaux aux ministère public. 
      • Cependant, le ministre de la justice peut encore procéder par instructions générales, et garde un contrôle sur le ministère public par le biais des systèmes de nomination et de sanction. 

Enfin, les expériences totalitaires du XXe siècles ont montré que la « justice des hommes » pouvait se retourner contre les droits humains, comme en témoigne l’histoire et la littérature qui en a découlé : 

  • KafkaLe procès : Le héros, Joseph K. est arrêté un matin par deux mystérieux agents se référant d’une autorité abstraite bien qu’absolue, pour un crime qui ne sera jamais précisé et qu’il n’a au demeurant jamais commis. Au terme d’un procès inique et malgré ses tentatives de défense, Joseph K. est exécuté sans formalité. 

2. La justice des hommes doit aussi faire face à la difficulté de rendre justice

Alors que la justice divine était supposée infaillible par nature, une justice rendue par des hommes est nécessairement plus fragile, soumise au doute mais aussi à la possibilité d’erreurs judiciaires 

  • Dans l’affaire d’Outreau, les failles « humaines » de Fabrice Burgaud – alors jeune et inexpérimenté juge d’instruction en charge de l’affaire – ont contribué à la condamnation de 13 innocents.
    • Dans les suites de l’affaire, une loi de 2009 (jamais appliquée) proposait la suppression du juge d’instruction. 

De même, l’administration de la justice des hommes fait l’objet de critiques multiples : 

  • On critique sa lenteur : 
    • La BruyèreLes caractères1688 « Le devoir des juges est de rendre la justice, leur métier est de la différer »
    • Les causes de la lenteur excessive de la justice des hommes par les hommes sont connues : accroissement du contentieux, complexification de la procédure, comportement dilatoire des parties. Cependant, la lenteur de la justice des hommes révèle surtout un manque de moyens matériels, financiers et humains. 
    • Cette lenteur est d’autant plus inquiétante qu’elle porte généralement préjudice aux justiciables les plus fragiles, et qu’elle n’est en rien le gage d’une décision de qualité. 
    • Dans ces conditions, on comprend aisément que la France soit régulièrement condamnée pour non-respect du « délai raisonnable » par la Cour européenne des droits de l’homme devant laquelle la durée de procédure est fréquemment supérieure à trois ans. Sur le fondement de l’article L 141-1 du Code de l’organisation judiciaire, un justiciable peut demander à l’État de réparer le dommage causé par le fonctionnement défectueux du service public de la justice. C’est ainsi que la France a été condamnée en février 2018 par la Cour européenne des droits de l’homme pour avoir mis plus de sept ans entre le placement en garde à vue et l’ordonnance de non-lieu d’une personne. 
  • On critique sa complexité et son inintelligibilité :
    • Pour beaucoup de citoyens, la justice est labyrinthique, et les arrêts sont encombrés de termes techniques hermétiques, voire jargonnant
    • RacineLes plaideurs (1668) : Petit jean se moque de la complexité excessive des plaidoirie de Dandin : 

« Hé ! Faut-il tant tourner autour du pot ?

Ils me font dire aussi des mots longs d’une toise,

De grands mots qui tiendraient d’ici jusqu’à Pontoise. 

Pour moi, je ne sais point tant faire de façon

Pour dire qu’un mâtin vient de prendre un chapon »

  • On critique l’inflation normative qui diminue la sécurité juridique : 
    • Il existe 100 000 lois en France ;
    • Il existe 70 codes juridiques ;
    • Forte instabilité, qui affecte notamment 4 matières : Les droits des étrangers, le droit pénal ; le droit fiscal et le droit social
    • Dès lors, le droit apparaît comme « un nuage noir d’ou la foudre peut sortir inopinément » (CarbonnierDroit et passion du droit sous la Ve République1996

Ainsi justice des hommes, bien qu’emplie des meilleures intentions, se trouve confrontée à des difficultés qu’elle se doit de surmonter afin de retrouver la confiance des hommes car comme disait Michel Audiard : « La justice, c’est comme la Sainte vierge. Si elle n’apparaît pas de temps en temps, le doute s’installe ».

II) Face à ces critiques, la justice des hommes doit aujourd’hui se réformer sans perdre son essence

L’impératif de modernisation de la justice des hommes (A) ne saurait se traduire par la perte des idéaux qui la structurent (B)

A. La nécessaire modernisation de la justice des hommes

  1. Une justice plus accessible

La justice des hommes doit être de son temps. En tant que service publique, elle doit donc moderniser ses méthodes de travail, son rapport aux justiciables qui veulent légitimement comprendre son fonctionnement, être mieux informés, obtenir des décisions dans un délai raisonnable.

  • Ainsi la loi Taubira du 12 octobre 2016 renforce le rôle du service public de la justice publique en rendant celle-ci plus accessible notamment à travers la mise en place d’un service d’accueil de justiciables dans plus de trois cents juridictions. 
    • Elle crée la possibilité d’introduire de nouvelles actions : une action en reconnaissance des droits, une action de groupe en matière de discrimination, de questions environnementales ou protection des données personnelles. 
    • Dans le cas d’un divorce par consentement mutuel, le passage devant le juge n’est plus obligatoire. 
  • Dans la même logique, plusieurs lois et décisions récentes ont renforcé les obligations en matière de motivation des décisions, afin de palier les critiques d’inintelligibilité :
    • La loi du 11 août 2011 prescrit la motivation des verdicts criminels, rompant ainsi avec une tradition judiciaire de deux cents ans. 
    • Dans une décision rendue sur question prioritaire de constitutionnalité, le 2 mars 2018, le Conseil Constitutionnel déclare non conforme à la Constitution les dispositions qui ne prévoyaient pas la motivation de la peine dans les décisions des cours d’assises. Cette décision s’intègre parfaitement dans le mouvement général qui vise à rendre une justice à la fois plus transparente et plus pédagogique. L’idée générale est qu’une peine ne peut être comprise est accepté que si elle est expliquée.

Cette volonté de moderniser la justice des hommes se retrouve jusque dans le lieu où elle s’exerce :

  • Ainsi le nouveau palais de justice de Paris est totalement différent des anciens tribunaux. Ce nouveau bâtiment, qui ressemble à un voilier des temps modernes, est l’œuvre de l’architecte italien Renzo Piano
    • Il réunit les vingt tribunaux d’instance de la capitale et le tribunal de grande instance, le tribunal correctionnel, le tribunal de police, le tribunal pour enfants et le tribunal des affaires de sécurité sociale. 
    • Renzo Piano a voulu faire de ce nouveau palais de justice un lieu de « civitas ». Le terme « civitas » fait référence à la tradition de l’« humanisme civique ». 
    • Le tribunal de Paris mais donc en scène le lien indissoluble entre la loi et le « vivre ensemble ». Ce nouvel édifice tend à un meilleur équilibre entre la solennité des lieux, leur insertion dans la ville et l’attention portée aux justiciables, tout en se gardant de banaliser le lieu où l’on rend la justice des hommes.

2. Une justice plus légitime

L’autorité du juge et des décisions de justice est renforcée par le encadrement par le droit européen qui sur le fondement de l’article 6 CESDH impose la théorie des apparence selon laquelle « not only must justice be done, but it must also be seen to be done » (Lord Hewart). L’article 6 CEDH renforce ainsi la légitimité des décisions de justice en posant les principes du procès équitable. 

B. La justice des hommes nécessite aussi de défendre ses principes humains essentiels

Si l’institution judiciaire est amenée à se réformer et à se moderniser pour perdurer, celle-ci doit demeurer fidèle aux deux attributs parfois contradictoires qui font son humanité : le doute et la conviction. 

  1.  La justice des hommes doit laisser toute sa place au doute 

« L’humble honneur de la justice des hommes », pour paraphraser André Malraux, demeure la place laissée au doute dans le processus de décision judiciaire :  

Avant de devenir décision, la justice doit laisser place au doute, qui seul permet d’éviter l’arbitraire des décisions, et limite le risque d’erreurs judiciaires : 

  • Dans le film de Sidnet Lumet12 hommes en colère de 1957, il n’est pas question d’un combat entre deux convictions, mais entre une conviction et un doute. La dynamique n’est pas la même. 
    • La plupart des jurés veulent prouver qu’ils auraient raison de juger l’accusé coupable, là où Henry Fonda veut s’assurer qu’il n’aurait pas tort de juger l’accusé coupable. 
    • La morale est simplement qu’il faut questionner son intuition, sa pensée rapide. Faire gagner Henry Fonda exprime symboliquement qu’il ne faut jamais s’en tenir aux consensus initiaux, qu’ils peuvent être renversés, et que n’importe qui peut être amené à réfléchir par lui-même. 
    • A la fin du film, on voit les jurés retourner à leur existence et le juré 9 s’approcher du juré 8 pour lui demander son nom. En obtenant un nom, la justice reprend bien sa condition humaine. L’humanisme triomphe et, avec eux, la justice des hommes.
  • La pluralité des juges et jurés – donc la collégialité de la justice – est un gage de contrôle des subjectivités, par une addition d’impressions différentes, de réflexions multiples. 

Aujourd’hui, la nécessaire place du doute en matière judiciaire appelle à considérer avec précaution certaines évolution qui tendent à automatiser les décisions de justice : 

  • Les progrès en matière d’intelligence artificielle ont ouvert la voie à la justice prédictive, basé sur la méta-analyse de données, qui doit être accueilli avec prudence dans la mesure où ils soustraient tout caractère humain à la justice  : 
    • Ces systèmes sont articulés sur des algorithmes basés sur l’analyse de milliers de jugements, de jurisprudences ayant pour objectif de déterminer les probabilités de chances de succès et d’échecs d’un litige particulier. Les algorithmes permettent d’intégrer dans ce calcul la prévision du montant potentiel des demandes et des condamnations associées
    • Emmanuel PoinasTribunal des algorithmes : magistrat et conseiller à la cour d’appel d’Aix-en-Provence, Emmanuel Poinas imagine un futur dystopique où des assistants intelligents remplacent les juges.

2. La justice des hommes doit laisser toute sa place à l’intime conviction

En matière criminelle devant la Cour d’Assise, la justice ne peut être rendue que par l’intime conviction des hommes qui composent le jury :  

  • Avant que la cour d’assises se retire, le président donne lecture de l’article 353 du Code de procédure pénale, qui est, en outre, affiché en gros caractères dans le lieu le plus apparent de la chambre des délibérations : « La loi ne leur fait que cette seule question, qui renferme toute la mesure de leur devoir : « Avez-vous une intime conviction ? » ».

L’intime conviction ne se résume pas à une impression, mais demande de passer au crible de la raison toutes les composantes du dossier, chaque élément de preuve, chaque moyen de défense. C’est une méthode de travail. Il ne peut s’agir d’impressions générales et rapides. Cela requiert une rigueur dans la réflexion, dans le raisonnement, une forme d’éthique et d’humilité avant de décider. C’est un travail de décision collégiale, qui demande du temps. Le caractère contradictoire et public de la procédure permet une élaboration de la conviction intime où les impressions des uns et les raisonnements des autres aboutissent à un verdict, à un dire vrai humain. 

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