Le culte de la transparence

Le culte de la transparence

 

  • Accroche : La transparence s’impose aujourd’hui comme l’un des principaux mots d’ordre de notre société :
    • La transparence s’impose aux pouvoirs publics, comme en témoignent la loi du 11 octobre 2013 qui créé la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (chargée de recevoir et de contrôler les déclarations de situation patrimoniale et d’intérêts des plus hauts responsables publics) ou encore la loi ordinaire du 15 septembre 2017 pour la confiance dans la vie politique qui charge la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) de publier un avis sur l’évolution du patrimoine du président de la République entre le début et la fin de son mandat ;
    • Mais le culte contemporain de la transparence dépasse de loin le seul contrôle des institutions publiques pour concerner les citoyens, qui dévoilent toujours davantage leur vie privée sur internet, de façon volontaire (par l’utilisation consentie de réseaux sociaux notamment) ou non (par le traitement automatisé des données des utilisateurs).
  • Définitions :
    • La transparence est métaphore issue de la minéralogie désigne qui ce qui laisse passer la lumière. Elle se définit donc comme le caractère de ce qui est directement accessible et ne se dissimule pas.
  • La transparence s’est progressivement imposée, à partir du mouvement des Lumières, comme une valeur cardinale de nos sociétés, nécessaire tout à la fois à l’efficacité, à la morale et à la démocratie. A partir des Lumières, s’impose l’idée que l’accomplissement de la raison dans l’histoire s’accompagne nécessairement d’un recul du secret et de l’obscurantisme. Dès lors la transparence s’est imposée à tous les domaines de la vie sociale :
    • Dans la sphère politique : la transparence est alors un gage de vertu et de probité ;
    • Dans la sphère économique : la transparence est une source d’efficacité productive puisqu’elle accroît l’information qui est une condition de la concurrence pure et parfaite ;
    • Dans la sphère militaire et diplomatique : la transparence est conçue comme un remède à la guerre ;
    • Dans la sphère privée : la transparence est valorisée comme une marque d’intégration sociale ;
  • Aujourd’hui cependant, alors même que l’exigence de transparence semble s’étendre à tous les domaines de la vie sociale et privée, ses effets parfois néfastes rappellent la nécessité empirique du secret :
    • Rapport public du Conseil d’Etat, Transparence et secret, 1995 : Transparence et secret sont les deux faces d’un même « dilemme éthique fondamental», qui ne trouve de voie de résolution que dans la recherche d’une articulation, d’un équilibre. Il incombe dans ce cadre aux pouvoirs publics de concilier « ce qui peut ou doit être rendu public avec ce qui peut ou doit rester secret »

 

  • Problématique : Le culte de la transparence est-il un remède ou un mal pour nos sociétés ?

 

I) Par opposition au secret qui prévalait autrefois, les sociétés modernes sont saisies par le culte de la transparence

 A. Les sociétés pré-modernes étaient caractérisées par le culte du secret

  1. Dans les sociétés pré-démocratiques, l’art de gouverner était avant tout un art de la dissimulation

Le culte du secret s’est imposé sous différentes formes dans les sociétés pré-démocratiques :

  • Sous l’antiquité, on oppose traditionnellement les rares sociétés démocratiques (Athènes), où la décision publique est prise aux yeux de tous, et les nombreuses sociétés oligarchiques (Sparte notamment), qui privilégient le secret comme mode de gouvernement :
    • C’est d’ailleurs à Sparte qu’est inventée la cryptologie (étymologiquement la « science du secret »): la scytale, également connue sous le nom de bâton de Plutarque, était un bâton de bois utilisé pour lire ou écrire une dépêche chiffrée. Considérée comme le plus ancien dispositif de cryptographie militaire connue, elle permettait l’inscription d’un message chiffré sur une fine lanière de cuir ou de parchemin que le messager pouvait porter à sa ceinture.
  • A l’époque classique, la « raison d’Etat » justifie les arcana imperii (secrets de Gouvernement) :
    • Le culte du secret par les Princes est d’abord un atout psychologique dans la mesure où il permet de conforter les gouvernés (le peuple) dans l’idée d’une certaine supériorité de leur gouvernants et donc de la légitimité de leur pouvoir :
      • Machiavel, Le Prince, 1532 :
        • « Chacun voit ce que tu parais, peu perçoivent ce que tu es » ;
        • Le plus heureux des princes est toujours celui qui sait le mieux se couvrir de la peau du renard. Le point est de bien jouer son rôle, et de savoir à propos feindre et dissimuler. Et les hommes sont si simples et si faibles que celui qui veut tromper trouve aisément des dupes »
      • Pascal, Discours sur la condition des grands, 1670 : s’adressant aux puissants, Pascal rappelle que l’obéissance du peuple aux grands est largement tributaire d’une croyance irrationnelle en leur nature supérieure, et invitent les puissants à ne jamais découvrir cette erreur au peuple, tout en n’oubliant pas eux-mêmes que cette croyance est infondée : « Le peuple qui vous admire ne connaît peut-être pas ce secret. Il croit que la noblesse est une grandeur réelle et il considère les grands comme étant d’une autre nature que les autres. Ne lui découvrez pas cette erreur, si vous voulez ; mais n’abusez pas de cette élévation avec insolence et surtout ne vous méconnaissez pas vous-mêmes en croyant que votre être a quelque chose de plus élevé que celui des autres ».
    • Le secret est également un atout majeur pour l’efficacité des grandes fonctions régaliennes de l’Etat:
      • En matière diplomatique et militaire : en 1722, le roi Louis XV met en place le secret du roi, système de diplomatie secrète visant à augmenter l’influence de la France à l’Est. Le secret de ce système d’influence et de renseignement fut si bien gardé qu’il ne fut découvert qu’à la mort de Louis XV en 1774 ;
      • En matière policière : le cabinet noir est un système de police secrète mis en place par Louis XI en 1464 par un Édit sur les Postes qui stipule que les postes sont créées uniquement pour le service du Roi et de son gouvernement et précise que les agents du service postal doivent prendre connaissance de toutes les correspondances, en s’assurant qu’elles ne contiennent rien qui soit contraire au service du Roi ;
        • Voltaire, Questions sur l’encyclopédie, 1775 : déclare ironiquement qu’en France « jamais le ministère qui a eu le département des postes n’a ouvert les lettres d’aucun particulier, excepté quand il a eu besoin de savoir ce qu’elles contenaient »
        • Le cabinet noir a officiellement pris fin sous la IIIe République, mais l’expression « cabinet noir » reste fréquemment employée dans les milieux politiques et journalistiques, dans le sens d’une officine secrète utilisant des méthodes plus ou moins illicites ou immorales destinées à protéger des politiciens, et souvent à nuire à leurs rivaux ou opposants.

  

  1. Le secret apparaissait aussi comme une valeur esthétique

Dans les sociétés traditionnelles, l’ombre et le secret font aussi l’objet d’une valorisation esthétique. On en trouve encore aujourd’hui une expression dans les sociétés asiatiques :

  • Roland Barthes, L’Empire des signes : l’esthétique japonaise tient avant tout selon Barthes à sa sobriété. La sémiologie japonaise à pour caractéristique de contenir beaucoup de sens en un espace très réduit, à l’image du Haïku, poème extrêmement bref visant à dire et célébrer l’évanescence des choses. L’architecture légère de l’habitat japonais au mobilier épuré, la crudité de ses aliments ou encore l’absence d’artifices dans la représentation théâtrale témoignent de l’absence de toute superficialité.
    • Ainsi la discrétion des signes renforce leur poids et leur sens : « Ne décrivant ni ne définissant, le haïku s’amincit jusqu’à la pure et seule désignation. Le sens n’y est qu’un flash, une griffure de lumière »
  • Tanizaki, Éloge de l’ombre : L’auteur, obsédé par le thème de l’occidentalisation du Japon, défend une esthétique de la pénombre en réaction à l’esthétique occidentale où tout est éclairé, s’employant à comparer divers usages de la lumière et de l’éclairage (des lieux d’aisances, par exemple) chez les Japonais et les Occidentaux.
    • « Je crois que le beau n’est pas une substance en soi, mais rien qu’un dessin d’ombres, qu’un jeu de clair-obscur produit par la juxtaposition de substances diverses. De même qu’une pierre phosphorescente qui, placée dans l’obscurité émet un rayonnement, perd, exposée au plein jour, toute sa fascination de joyau précieux, de même le beau perd son existence si l’on supprime les effets d’ombre »; 

B. A l’inverse, les sociétés modernes sont saisies par un culte croissant de la transparence

  1. En réaction au secret, les Lumières et la Révolution imposent la transparence comme une vertu individuelle et politique cardinale

Par opposition au secret qui est associé à l’obscurantisme et à la tyrannie, la transparence est célébrée par les Lumières avant de s’imposer juridiquement avec la Révolution :

  • Le mouvement des Lumières célèbre la transparence et la publicité (le fait de rendre public) comme des vertus cardinales au service de la démocratie, de la moralité publique et de la paix :
    • La transparence de la vie publique est conçue comme la condition sine qua non de la souveraineté populaire :
      • Rousseau, Considérations sur le Gouvernement de Pologne, 1772 : Rousseau avance que la transparence est la condition de la souveraineté populaire, dans la mesure où celle-ci ne peut être respectée si les décisions ne sont pas prises « aux yeux du public ». Rousseau en déduit la supériorité politique des petits Etats, ou chacun agit aux yeux de tous à l’image de Genève.
    • La transparence des affaires diplomatiques est considérée comme le plus puissant vecteur de paix entre les Etats :
      • Kant, Projet de paix perpétuelle, 1794 : avance que les accords secrets portent en germe la guerre, puisqu’ils contribuent à la méfiance réciproque entre les Etats et laissent à chacun le soin d’imaginer le pire, avant d’engager une guerre préventive parfois.
  • La Révolution Française matérialise cet idéal de transparence en l’érigeant en obligation juridique :
    • La publicité des débats à l’Assemblée Nationale s’impose dès le mois de mai 1789 ;
      • Aujourd’hui encore, l’article 33 de la Constitution du 4 octobre 1958 dispose : « les séances des deux assemblées sont publiques. Le compte rendu intégral des débats est publié au JO ».
    • L’article 15 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen du 26 aout 1789 dispose: « La société a le droit de demander des comptes à tout agent public de son administration » ;

 

  1. L’injonction à la transparence s’impose avec une vigueur croissante dans les sociétés contemporaines

Dans les sociétés contemporaines, la transparence n’est plus seulement considérée comme une vertu mais comme une véritable injonction qui s’empare de tous les domaines de la vie publique et privée :

  • Les institutions publiques sont aujourd’hui entièrement soumises à l’exigence de transparence :
    • La « transparence administrative » se développe depuis les années 1970 et impose aux administrations publiques de motiver et de publier leurs actes :
      • La loi du 17 juillet 1978 relative à la communication des documents administratifs  pose le principe selon lequel l’administration doit, à la demande, communiquer un document nominatif, à la personne intéressée ;
      • La loi du 11 juillet 1979 relative à la motivation des décisions administratives individuelles défavorables prévoit que la motivation est une obligation et que le vice de motivation est de nature à entraîner l’illégalité de cet acte ;
      • La loi DCRA du 12 avril 2000 lève l’anonymat des agents publics en exigeant sous peine d’illégalité que tout acte de l’administration comporte en écriture lisible le nom, le prénom, la qualité et la signature de son auteur ;
    • Plus fondamentalement, la transparence est en quelque sorte considérée comme le remède absolu à tous les maux de la société :
      • Ainsi chaque « affaire » politique suscite un appel à « plus de transparence » et se traduit in fine par une loi de contrôle des acteurs de la vie publique :
        • C’est le cas de l’affaire Cahuzac qui s’est soldée par l’adoption de la loi du 11 octobre 2013 créant la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique ;
      • De même, les « bavures policières » se traduisent par des obligations nouvelles de transparence faites au policier, comme en témoigne depuis 2012 le port obligatoire d’un numéro d’identification (RIO) par chaque policier et le développement des caméras-piéton, enregistrant en temps réel les interventions quotidiennes des forces de l’ordre ;
  • Mais la transparence s’empare aussi de la vie privée des citoyens, par « le mariage d’une idéologie qui impose de tout dire et d’une technologie qui permet de tout voir » (Denis Olivennes et Mathias Chichportich, Mortelle transparence)
    • D’une part l’idéologie contemporaine impose de « tout dire », puisque la transparence est perçue comme signe de moralité (celui qui se montre n’a rien à se reprocher) et d’intégration sociale, alors que le secret est associé au vice. L’intimité est aujourd’hui dévalorisée au profit du dévoilement de soi, qui s’impose comme un nouveau mode d’être-au-monde :
      • Michel Foucault, Histoire de la sexualité : la volonté de savoir, 1976 : résume cette nouvelle mentalité : « Nous sommes devenus une société singulièrement avouante ».
    • D’autre part, la technologie contemporaine permet de « tout voir », par le biais notamment d’internet et des réseaux sociaux :
      • Le fondateur de Facebook Mark Zuckeberg a d’ailleurs lui-même avancé en 2010 que la notion de vie privée (privacy) est une norme sociale aujourd’hui dépassée par l’évolution des technologies, résumant sa pensée de façon lapidaire : « privacy is dead ».

 

II)  Alors que le culte de la transparence comporte des risques, il convient aujourd’hui de trouver un nouvel équilibre entre devoir de transparence et droit au secret

 A.Le culte contemporain de la transparence comporte des risques

  1. Le culte contemporain de la transparence peut s’avérer contraire à la liberté individuelle

 Le culte de la transparence peut se muer en un redoutable contrôle social des individus :

  • La transparence totale des individus est le propre des régimes totalitaires :
    • George Orwell, 1984: La rédaction de son journal n’est possible à Winston Smith que grâce à une singularité dans le plan de son appartement qui permet d’échapper au regard omniprésent du télécran, sorte d’écran installé dans chaque foyer qui sert à la diff usion continue de la propagande du gouvernement et à voir et entendre ce qui se passe chez les gens.
  • Dans les sociétés démocratiques, l’injonction à la transparence peut aussi servir le contrôle social des individus au profit d’un « nouvel ordre moral » souvent dénoncé au nom du droit des individus à l’autonomie et à la liberté :
    • Michel Foucault, Surveiller et Punir, 1975 : Le caractère liberticide de la transparence est illustré par l’interprétation foucaldienne du panoptique développé par Jérémy Bentham en 1780, et qui fut utilisé dans plusieurs prisons britanniques et dans une prison française (Petite Rouquette à Paris, détruite en 1974)
      • Le panoptique est un système de surveillance constitué d’une tour centrale, ayant vue sur l’ensemble des cellules organisées de façon circulaire autour de la tour, et éclairées en permanence par le biais de deux larges fenêtres dans chaque cellule, l’une laissant passer le jour, l’autre dévoilant l’intérieur de la cellule au gardien dans la tour.
      • Dès lors, indique Foucault, il suffit d’un surveillant dans la tour central (voire aucun/ou un fou puisque les personnes incarcérées ne peuvent le savoir) pour que les personnes incarcérées perdent entièrement la liberté que conférait l’ombre du cachot, et se voit obliger d’intérioriser la contrainte ;
      • Foucault conclut : « la visibilité est un piège ».
    • Alain-Gérard Slama, L’Angélisme Exterminateur, Essai sur l’ordre moral contemporain, 1993 : l’idéal de transparence tend aujourd’hui à se muer en surveillance systématique de la moralité intime des individus, et à répandre un conformisme contraire à l’idée même de liberté et d’autonomie individuelle.
      • Ainsi au nom de la transparence se trouvent régentés les choix les plus intimes de la vie des individus, tels que le choix de se nuire, à travers une consommation excessive d’alcool ou le tabagisme. Les individus sont sommés de révéler leurs pensées, même les plus intimes. Alain Gérard Slama s’inquiète de l’incontestabilité croissante du règne de la transparente, contre lequel personne ne peut prétendre s’élever sans risquer de susciter des interrogations quant à sa propre moralité.
      • L’auteur conclut : « Jamais l’esprit et les moeurs n’ont été soumis à une pression aussi constante »
    • Philippe Muray, Désaccord parfait : « Qu’est-ce que la transparence ne souffre pas ? L’indétermination, c’est-à-dire la liberté. Elle déteste ce qui est vague, furtif, un peu sale, obscur, indéfini. Humain en somme ».
    • Régis Debray, L’obscénité démocratique : Dans nos « sociétés panoptiques du tout-image » où règne la « gloutonnerie optique » « ne pas s’afficher signifie qu’on a quelque chose à cacher », et « avoir des arrières pensées devient presque un motif d’inculpation » : à terme, l’impératif de transparence risque d’aboutir à un individu « traçable, localisable, identifiable, on the spot et en temps réel ».
      • Debray conclut que le temps est venu de protéger non plus la transparence du secret, mais le secret de la transparence : « Il fut un temps où faire rendre gorge au secret était la noble tâche des hommes de progrès. Ils auraient intérêt, aujourd’hui, à bricoler une association de défense des secrets de conscience, de cœur et d’Etat »
  1. Le règne de la transparence contient en outre une certaine hypocrisie, voire une obscénité

La « transparence politique » à outrance peut être pervertie par ceux qui en usent à des fins d’autopromotion malsaine et vulgaire. En effet nos sociétés transparentes invitent à une « mise en scène » permanente et trompeuse. On en trouve une expression évidente dans la communication politique, par laquelle les « spin-doctors » (conseillers en communication politique) habillent les logiques politiciennes de « storytelling » à vocation purement électoraliste :

  • Régis Debray, L’obscénité démocratique : Pour Debray, la démocratie devient obscène lorsque la mise en scène permanente du pouvoir se substitue à l’exercice même du pouvoir, « car tel est l’effet pervers de la transparence partout promulguée : transformer nos politiques en cuisiniers d’effets, courant après la bonne photo, le bon écho ».

L’usage à outrance de communication politique se traduit par une désacralisation néfaste des institutions et des hommes politiques, qui gagneraient au contraire à plus de distance et de décence, puisque comme le remarquait le Général de Gaulle, « L’autorité ne va pas sans prestige, ni le prestige sans éloignement ».

 

B. Il convient aujourd’hui de poser des bornes au règne de la transparence, afin de protéger le bon fonctionnement des institutions et la vie privée des individus

  1. La transparence doit trouver des limites nécessaires au bon fonctionnement des institutions

Si la transparence est nécessaire à une bonne action administrative, il faut noter que le secret peut lui-aussi être indispensable au bon fonctionnement des institutions. Ainsi, dans certains domaines, il apparaît aujourd’hui nécessaire de reconnaître aux administrations un « droit transparent au secret » (Jean-Marc Sauvé, Allocution « Transparence, valeurs de l’action publique et intérêt général », 2011) :

  • Le secret de l’isoloir est rendu obligatoire en France par une loi de 1913, et constitue une des bases de notre système politique démocratique ;
  • Le secret de la défense reste d’une nécessité patente pour assurer la sécurité de la Nation :
    • La commission consultative du secret de la défense nationale (CSDN), mise en place par une ordonnance de 1998, n’a qu’un avis consultatif et il revient en dernier lieu au ministre de la défense de décider de la déclassification d’un document ;
    • Les révélations de Wikileaks ont mis en danger la vie de nombreux agents occidentaux en Afghanistan et en Irak ;
  • Le secret de l’instruction participe de la présomption d’innocence du prévenu
  • Le secret des délibérations est parfois nécessaire :
    • L’article 33 de la Constitution consacre la pratique des comités secrets qui constituent une exception nécessaire au principe général de publicité des débats parlementaires : si une assemblée décide de siéger en comité secret, c-a-d à huit clos, le compte rendu des débats n’est pas rendu public ;
    • On remarque que les autorités ne sont pas enclines à abuser de cette prérogative nécessaire, puisque la dernière utilisation fut faite en 1940 ;
  • Le secret industriel s’avère nécessaire pour faire face à l’espionnage industriel de certains pays et sauver des emplois ;
  1. L’idéal de transparence doit s’arrêter là où commence le droit à la vie privée des individus

La protection de la vie privée des individus impose notamment un encadrement juridique du numérique :

  • Au niveau national :
    • La Loi Informatique et liberté (LIL) de 1978 encadre le traitement des données à caractère personnel :
      • Les données sont collectées et traitées de manière « loyale et licite », pour des « finalités déterminées, explicites et légitimes »
      • La LIL pose le principe général selon lequel le traitement des données doit avoir reçu le consentement de la personne intéressée, tout en prévoyant de multiples dérogations
      • Institue la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), Autorité Administrative Indépendante qui contrôle les traitements de données à caractère personnel.
    • La loi pour une République numérique du 7 octobre 2016 va plus loin:
      • Elle établit un principe de loyauté des plateformes de services numériques ;
      • Le texte introduit également de nouveaux droits pour les individus en matière de données personnelles :
        • Droit à l’oubli numérique pour les mineurs ;
        • Testament numérique pour donner des directives aux plateformes numériques ;
        • Confidentialité des correspondances privées ;
  • Au niveau européen :
    • La directive de 1995 qui constituait le texte de référence en la matière est remplacée par le Règlement général sur la protection des données (RGPD) du 14 avril 2016, qui constitue le nouveau texte de référence européen en matière de protection des données à caractère personnel. Le RGPD impose plusieurs garanties :
      • Un consentement « explicite » et « positif » : les entreprises et organismes doivent donner aux citoyens davantage de contrôle sur leurs données privées.
      • Le droit à l’effacement (aussi appelé « droit à l’oubli ») : la personne concernée a le droit d’obtenir du responsable du traitement l’effacement, dans les meilleurs délais, de données à caractère personnel la concernant et le responsable du traitement a l’obligation d’effacer ces données à caractère personnel dans les meilleurs délais ;
      • Des sanctions plus importantes : le règlement donnent aux régulateurs le pouvoir d’infliger des sanctions financières allant jusqu’à 4 % du chiffre d’affaires mondial annuel d’une entreprise avec un montant de 20 millions d’euros maximum, en cas de non-respect

 

Conclusion : En définitive, la transparence pose un dilemme éthique fondamental dans la mesure où elle peut servir tout à la fois la probité et d’indécence, l’esthétique et l’obscène, les droits des citoyens ou leur asservissement. Il paraît donc nécessaire de reconnaître l’utilité de la transparence, mais aussi de se garder de tout culte à son égard. A ce titre, des limites juridiques doivent être opposées au règne de la transparence. Mais il revient aussi à chacun de se prémunir des excès de la transparence en veillant à la préservation de sa vie privée :

  • Montaigne, Les Essais: « Il faut se réserver une arrière boutique toute notre, toute franche, en laquelle nous établissons notre vrai liberté et principale retraite et solitude » ;
  • Philippe Muray, Festivus Festivus : « Je sais aujourd’hui que la vie privée est la seule résistance catégorique, le seul camouflet radical que l’on puisse infliger à la société moderne du tout-à-la-webcam, et que le secret est une critique cinglante et continue de la civilisation de l’exhibitionnisme ».

 

Pour aller plus loin: 

  • Ici un PodCast de France culture (Répliques) avec Denis Olivennes (auteur de Mortelle transparence) et Fabrice Arfi  sur le thème « L’ère de la transparence » ;
  • Ici une vidéo d’Olivier Babeau sur son ouvrage Éloge de l’hypocrisie, dans  lequel il oppose « l’hypocrisie bégnigne » (nécessaire à la vie sociale) et « l’hypocrisie maligne » de nos sociétés transparentes et numériques qui enferme les individus dans une conformité sociale.

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